Le 8 novembre : Que nous dit aujourd'hui la caverne de Platon ?

"Que nous apprend la célèbre allégorie de la caverne sur les chemins qui mènent de l'ombre de la prison des illusions à la lumière de la connaissance et de la vérité libératrices ?"




L'allégorie de la caverne est un passage célèbre du Livre VII de La République de Platon. En voici la traduction établie par Victor Cousin en 1833 :

"Platon, La République, trad. Victor Cousin (1833). livre VII : l'allégorie de la caverne.
(Socrate s'adresse à Glaucon, son disciple, jeune frère de Platon)


[514a] Maintenant, repris-je, pour avoir une idée de la conduite de l’homme par rapport à la science et à l’ignorance, figure-toi la situation que je vais te décrire. Imagine un antre souterrain, très ouvert dans toute sa profondeur du côté de la lumière du jour ; et dans cet antre des hommes retenus, depuis leur enfance, par des chaînes qui leur assujettissent tellement les jambes et le cou, qu’ils ne peuvent ni changer de place  [514b] ni tourner la tête, et ne voient que ce qu’ils ont en face. La lumière leur vient d’un feu allumé à une certaine distance en haut derrière eux. Entre ce feu et les captifs s’élève un chemin, le long duquel imagine un petit mur semblable à ces cloisons que les charlatans mettent entre eux et les spectateurs, et au-dessus desquelles apparaissent les merveilles qu’ils montrent.

Je vois cela.

Figure-toi encore qu’il passe le long de ce mur, des hommes (514c) portant des objets de toute sorte qui paraissent ainsi au-dessus du mur, des figures d’hommes (515a) et d’animaux en bois ou en pierre, et de mille formes différentes ; et naturellement parmi ceux qui passent, les uns se parlent entre eux, d’autres ne disent rien.

Voilà un étrange tableau et d’étranges prisonniers.

Voilà pourtant ce que nous sommes. Et d’abord, crois-tu que dans cette situation ils verront autre chose d’eux-mêmes et de ceux qui sont à leurs côtés, que les ombres qui vont se retracer, à la lueur du feu, sur le côté de la caverne exposé à leurs regards ?

Non, puisqu’ils sont forcés de rester toute leur vie (515b) la tête immobile.

Et les objets qui passent derrière eux, de même aussi n’en verront-ils pas seulement l’ombre ?

Sans contredit.

Or, s’ils pouvaient converser ensemble, ne crois-tu pas qu’ils s’aviseraient de désigner comme les choses mêmes les ombres qu’ils voient passer ?

Nécessairement.

Et, si la prison avait un écho, toutes les fois qu’un des passants viendrait à parler, ne s’imagineraient-ils pas entendre parler l’ombre même qui passe sous leurs yeux ?

Oui.

(515c) Enfin, ces captifs n’attribueront absolument de réalité qu’aux ombres.

Cela est inévitable.

Supposons maintenant qu’on les délivre de leurs chaînes et qu’on les guérisse de leur erreur : vois ce qui résulterait naturellement de la situation nouvelle où nous allons les placer. Qu’on détache un de ces captifs ; qu’on le force sur-le-champ de se lever, de tourner la tète, de marcher et de regarder du côté de la lumière : il ne pourra faire tout cela sans souffrir, et l’éblouissement l’empêchera de discerner les objets dont il voyait (515d) auparavant les ombres. Je te demande ce qu’il pourra dire, si quelqu’un vient lui déclarer que jusqu’alors il n’a vu que des fantômes ; qu’à présent plus près de la réalité, et tourné vers des objets plus réels, Il voit plus juste ; si enfin, lui montrant chaque objet à mesure qu’il passe, on l’oblige, à force de questions, à dire ce que c’est ; ne penses-tu pas qu’il sera fort embarrassé, et que ce qu’il voyait auparavant lui paraîtra plus vrai que ce qu’on lui montre ?

Sans doute.

(515e) Et si on le contraint de regarder le feu, sa vue n’en sera-t-elle pas blessée ? N’en détournera-t-il pas les regards pour les porter sur ces ombres qu’il considère sans effort ? Ne jugera-t-il pas que [ 67 ] ces ombres sont réellement plus visibles que les objets qu’on lui montre ?

Assurément.

Si maintenant on l’arrache de sa caverne malgré lui, et qu’on le traîne, par le sentier rude et escarpé, jusqu’à la clarté du soleil, cette violence n’excitera-t-elle pas ses plaintes (516a) et sa colère ? Et lorsqu’il sera parvenu au grand jour, accablé de sa splendeur, pourra-t-il distinguer aucun des objets que nous appelons des êtres réels ?

Il ne le pourra pas d’abord.

Ce n’est que peu à peu que ses yeux pourront s’accoutumer à cette région supérieure. Ce qu’il discernera plus facilement, ce sera d’abord les ombres, puis les images des hommes et des autres objets qui se peignent sur la surface des eaux, ensuite les objets eux-mêmes. De là il portera ses regards vers le ciel, dont il soutiendra plus facilement la vue, quand il contemplera pendant la nuit la lune (516b) et les étoiles, qu’il ne pourrait le faire, pendant que le soleil éclaire l’horizon.

Je le crois.

A la fin il pourra, je pense, non-seulement voir le soleil dans les eaux et partout où son image se réfléchit, mais le contempler en lui-même à sa véritable place.

Certainement.

Après cela, se mettant à raisonner, il en viendra à conclure que c’est le soleil qui fait les saisons et les années, qui gouverne (516c) tout dans le monde visible, et qui est en quelque sorte le principe de tout ce que nos gens voyaient là-bas dans la caverne.
Il est évident que c’est par tous ces degrés qu’il arrivera à cette conclusion.
Se rappelant, alors sa première demeure et ce qu’on y appelait sagesse et ses compagnons de captivité, ne se trouvera-t-il pas heureux de son changement et ne plaindra-t-il pas les autres ?

Tout-à-fait.

Et s’il y avait là-bas des honneurs, des éloges, des récompenses publiques établies entre eux pour celui qui observe le mieux les ombres à leur passage, qui se rappelle le mieux en quel ordre (516d) elles ont coutume de précéder, de suivre ou de paraître ensemble, et qui par là est le plus habile à deviner leur apparition ; penses-tu que l’homme dont nous parlons fût encore bien jaloux de ces distinctions, et qu’il portât envie à ceux qui sont les plus honorés et les plus puissants dans ce souterrain ? Ou bien ne sera-t-il pas comme le héros d’Homère, et ne préfèrera-t-il pas mille fois n’être qu’un valet de charrue, au service d’un [ 69 ] pauvre laboureur [01], et souffrir tout au monde plutôt que de revenir à sa première illusion et de vivre comme il vivait ?

(516e) Je ne doute pas qu’il ne soit disposé à tout souffrir plutôt que de vivre de la sorte.

Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et qu’il aille s’asseoir à son ancienne place ; dans ce passage subit du grand jour à l’obscurité, ses yeux ne seront-ils pas comme aveuglés ?

Oui vraiment.

Et si tandis que sa vue est encore confuse, et avant que ses yeux se soient remis et (517a) accoutumés à l’obscurité, ce qui demande un temps assez long, il lui faut donner son avis sur ces ombres et entrer en dispute à ce sujet avec ses compagnons qui n’ont pas quitté leurs chaînes, n’apprêtera-t-il pas à rire à ses dépens ? Ne diront-ils pas que pour être monté là-haut, il a perdu la vue ; que ce n’est pas la peine d’essayer de sortir du lieu où ils sont, et que si quelqu’un s’avise de vouloir les en tirer et les conduire en haut, il faut le saisir et le tuer, s’il est possible.

Cela est fort probable.

Voilà précisément, cher Glaucon, (517b) l’image de notre condition. L’antre souterrain, c’est ce monde visible : le feu qui l’éclaire, c’est la lumière du soleil : ce captif qui monte à la région supérieure et la contemple, c’est l’âme qui s’élève dans l’espace intelligible. Voilà du moins quelle est ma pensée, puisque tu veux la savoir : Dieu sait si elle est vraie. Quant à moi, la chose me paraît telle que je vais dire. Aux dernières limites du monde intellectuel, est l’idée (517c) du bien qu’on aperçoit avec peine, mais qu’on ne peut apercevoir sans conclure qu’elle est la cause de tout ce qu’il y a de beau et de bon ; que dans le monde visible, elle produit la lumière et l’astre de qui elle vient directement ; que dans le monde invisible, c’est elle qui produit directement la vérité et l’intelligence ; qu’il faut enfin avoir les yeux sur cette idée pour se conduire avec sagesse dans la vie privée ou publique.

J’entre dans cette manière de voir autant qu’il m’appartient.

Conçois donc aussi et cesse de t’étonner que ceux qui sont parvenus à cette hauteur dédaignent de prendre en main les affaires humaines, et que leurs âmes aspirent sans cesse à se fixer dans la région supérieure. (517d) Cela est bien naturel, s’il y a analogie entre ce dont nous parlons et limage que nous avons tracée plus haut.

Oui, rien déplus naturel.

Qu’y a-t-il d’étonnant, dis-moi, qu’un homme, passant des contemplations divines aux misérables objets qui occupent les hommes, ait mauvaise grâce et paraisse ridicule, lorsque dans le premier trouble, et avant d’être familiarisé avec les ténèbres qui l’environnent, il est forcé d’entrer en dispute devant les tribunaux ou ailleurs sur des ombres de justice ou sur les images qui projettent ces ombres, (517e) et de s’escrimer contre la manière dont ces images sont prises par des hommes qui n’ont jamais vu la justice elle-même ?

Il est impossible de s’en étonner.

(518a) Un homme sensé fera réflexion que la vue peut être troublée de deux manières et par deux causes opposées, par le passage de la lumière à l’obscurité, ou par celui de l’obscurité à la lumière : et comme il en est de même de la vue de l’âme, lorsqu’il verra une âme troublée et embarrassée pour discerner certains objets, il n’ira pas en rire sans raison ; il examinera si c’est que revenant d’un état plus lumineux elle se trouve comme offusquée faute d’habitude, ou si passant des ténèbres de l’ignorance à la lumière, elle est éblouie (518b) de son trop vif éclat. Dans le premier cas, il la félicitera de l’embarras qu’elle éprouve et de ce commerce divin ; dans le second, il la plaindra ; ou bien s’il veut rire à ses dépens, ses railleries seront moins ridicules que si elles s’adressaient à l’âme qui redescend du séjour de la lumière.

On ne peut parler plus raisonnablement.

Or, si tout cela est vrai, il faut en conclure que la science ne s’apprend pas de la manière dont certaines gens le prétendent. Ils se vantent de pouvoir la faire entrer dans  (518c) l’âme où elle n’est point, à peu près comme on donnerait la vue à des yeux aveugles.

Tel est leur langage.


 Ce que nous avons dit suppose au contraire que chacun possède la faculté d’apprendre, un organe de la science ; et que, semblable à des yeux qui ne pourraient se tourner des ténèbres vers la lumière qu’avec le corps tout entier, l’organe de l’intelligence doit se tourner, avec l’âme tout entière, de la vue de ce qui naît vers la contemplation de ce qui est et de ce qu’il y a de plus lumineux dans l’être ; et cela nous l’avons appelé (518d) le bien, n’est-ce pas ?"


Pour les hellénistes, voici un lien vers une traduction annotée par Bernard SUZANNE:
http://plato-dialogues.org/fr/tetra_4/republic/caverne.htm#note29




Bonne lecture,

Quelques explications sur l'allégorie de la caverne

Tout d'abord une image de l'allégorie






Une courte analyse de l'allégorie de la caverne et du livre 7 de La République :
http://la-philosophie.com/platon-caverne-allegorie

Quelques explications plus détaillées :
http://www.philolog.fr/explication-de-lallegorie-de-la-caverne/

Et l'article de wikipedia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/All%C3%A9gorie_de_la_caverne#cite_ref-9



Enfin, pour aller plus loin, vous pouvez écouter cette conférence des Nouveaux Chemins de la connaissance, l'émission phare de France Culture sur la philosophie (tous les jours à 10h)
Lectures de la République de Platon 2/4 : l'allégorie de la caverne

Bonne lecture, bonne écoute

Martin Videcoq

Compte-rendu : "Café-philo : nouveau lieu, nouveau souffle"


Le thème proposé était une invitation à réfléchir sur le devenir du café-philo dans sa 6eme année et après une cinquantaine de débats.

Nouveau lieu

La Grotte Bleue est un lieu convivial et tranquille un peu à l’écart dans Cucuron. L’harmonie des lieux se prête bien aux échanges et à l’écoute.
C’est un salon de thé ouvert à de nombreuses activités de type associatif.
Nos hôtesses, Beya et Rachida nous proposent, après nos débats, de poursuivre nos échanges autour d’un repas convivial, de cuisine marocaine.
La Grotte c’est aussi une caverne, cela nous renvoie à une métaphore célèbre de la philosophie classique, Nous y reviendrons.

Nouveau souffle 

« Trop de réponses.
Il n’a jamais cherché de réponse. Même quand les questions viennent et reviennent. Il veut juste devenir, de son vivant, la vraie question. Pour lui-même. La question juste. …/…
La liberté est terrible. Si petite pour chacun . La si petite liberté humaine. Et ce désir, parfois, de l’enfoncer sous terre. Parce que trop. Si petite, mais déjà trop. On a peur. On voudrait vite des réponses aux questions. A la seule question. Moi aussi j’ai peur. Moi aussi, j’aurais aimé des réponses apaisantes. »

Cet extrait du livre de Jeanne Benameur « Profanes », lu en ouverture, évoque bien la problématique du café-philo. Proposer des réponses ou bien aider chacun à se construire à l’aide de questions, à l'aide de dialogues sur des questions ?

A quoi sert un café-philo ? Pourquoi y venons-nous ? Quelles sont nos attentes ? Quel type d’interventions souhaitons-nous ? Quelle part donner à des témoignages, des problématiques de vie présentés par des intervenants extérieurs ?

Comment organiser l’articulation entre les interventions et le débat ?

C’est autour de ces questions que se sont déroulés les échanges, sous forme de discussion libre plutôt que du tour de table qui était proposé.

Propositions, Attentes

Etendre les thèmes de débat autour d'interventions extérieures et de problématiques posées par le cinéma, la littérature ou le théâtre.

Eviter les interventions trop théoriques, garder un langage simple, les interventions doivent rester à la portée de tous. Pour les intervenants extérieurs, privilégier les témoignages plus que les interventions théoriques.

Où sont les jeunes ? Comment les faire venir au café-philo ?
Pourtant la philosophie peut s’adresser à la jeunesse, dès la maternelle, à l’exemple de l’expérience montrée dans le film « Ce n’est qu’un début »

Nous avons soif de philo et nous ressentons une certaine frustration vis-à-vis de l’inachèvement de certains débats. Comment assurer la continuité et l’approfondissement de certains thèmes dans le temps ? Il faudrait pouvoir poursuivre certains débats à travers plusieurs séances.

Mais, éviter que cela se transforme en cycle de conférences.

Thèmes

Beaucoup de propositions ont été faites au fil de l’eau, qui sont présentées telles quelles et sur lesquelles nous reviendrons pour les organiser par thèmes et y associer des problématiques :

· Le mythe de la caverne

· L’émergence du populisme

· Poursuite du thème « Identité, appartenance »

· Le Soufisme

· Le Bouddhisme

· La Laïcité

· Fin de vie

· Souffrance

· Violence

· L’économie de l’échange, l’économie solidaire

· La consommation

· La fuite vers l’individualisme
« Souci de soi, Conscience du monde », Raphaël Liogier »

· La décroissance

· Le hasard

· Qu’est-ce qu’un philosophe ?

· L’aide, l’écoute des autres, le « Care »

· Débats autour de films tels que : Amour (Haneke), Miele (Golino), Hannah Arendt (Von Trotta), Quelques heures de printemps (Brizé)


N'hésitez pas à  laisser des commentaires, amendements et compléments afin d'alimenter le débat.

Martin Videcoq