Qu'est-ce que l'autorité ? selon Hannah Arendt

Deux analyses du chapitre III de l'essai d'Hannah Arendt "La crise de la Culture" intitulé :
III. Qu'est-ce que l'autorité ?


1. D'après Simone Manon :
Qu'est-ce que l'autorité ?




2. D'après Roselyne ARTAUX, Université de Nantes, 

Dans le préambule de ce chapitre, Hannah Arendt dresse la constatation suivante : « l’autorité a disparu du monde moderne » [sous entendu de la sphère politique mais aussi des sphères pré-politiques] et qu’il est donc difficile de trouver des repères connus de tous aujourd’hui pour définir ce concept d’autorité qui était cependant une des clés de voûte de la théorie politique. A travers ce qui suit dans ce chapitre l’auteur dresse les définitions que les philosophes grecs et romains, le christianisme ou encore Machiavel ont pu donner de l’autorité.

Dans un premier temps  Hannah Arendt tente de dresser une définition du concept d’autorité en l’opposant, comme Platon a voulu le faire, à la contrainte par la force et à la persuasion. Car l’utilisation de la contrainte suppose la reconnaissance d’une hiérarchie légitime, l’emploi de la force l’échec de l’autorité et la persuasion  l’égalité. Sa définition conduit à penser l’autorité comme la conséquence de la disparition  de la religion (car le doute est omniprésent) et de la tradition (qu’il ne faut pas considérer comme un oubli du passé mais comme un « fil conducteur » dans notre histoire ). Ces deux entités étaient, selon l’auteur, les fondations qui donnaient au monde son caractère permanent. Dès lors, le monde n’a cessé de se mouvoir très rapidement et les hommes n’ont plus su donner un sens indiscutable c’est à dire commun aux mots tels que « tyrannie, autorité, totalitarisme »
De là deux théories sont nées à partir de la façon dont les écrivains libéraux et conservateurs ont traité de l’autorité :
Les théories libérales se soucient essentiellement de la liberté ce qui fait qu’ils en viennent à négliger les différentes formes de gouvernement et confondent régimes autoritaires(restriction de la liberté mais gouvernement lié par des lois) et tyrannie (abolition de la liberté et gouvernement du tyran dans son propre intérêt). L’écrivain libéral voit le progrès dans la liberté. Le conservateur se soucient plus de l’autorité pour lui, sans autorité il n’y a pas de sauvegarde de la liberté possible.
Conservateurs et libéraux n’ont qu’un but : la restauration soit de la liberté soit de l’autorité suivant leurs idéologies respectives mais en réalité tous deux comme le dit l’auteur sont les « deux faces d’une même médaille » car l’un n’existerait pas sans l’autre et que tous les deux visent une restauration.

            L’auteur profite de l’exposé de ces deux points de vues pour dresser une définition des différentes structures d’appareil  de gouvernement :

·         Le gouvernement autoritaire est symbolisé par une pyramide qui tire son autorité du dehors mais dont le siège du pouvoir est au sommet. de ce sommet descend l’autorité de strate en strate arrosant ainsi toutes les composantes de la pyramide. De cette schématisation il ressort que le gouvernement autoritaire est une structure très hiérarchisée où l’inégalité est un principe constant.

·         Le gouvernement tyrannique suppose un oppresseur que l’on trouve en la personne du tyran et des oppressés tous égaux dans leur sort c’est à dire dépourvus de pouvoir.

·         Le gouvernement totalitaire implique un chef qui se trouve au centre de tout. Toutes les couches sont en contact les unes avec les autres ce qui permet au gouvernement d’exercer un contrôle étroit sur l’ensemble du système et également d’assurer sa propre protection.

Dans la seconde théorie, libéralisme et conservatisme ne diffèrent que dans la manière d’évaluer une situation : là où les conservateurs trouvent que la substitution d’une chose par une autre montre sa nécessité, les libéraux constatent une trahison .Mais, au final les deux camps s’entendent sur un point : le substitut qui remplit la fonction de la première chose est cette chose . conservateurs et libéraux arrivent à la même analyse finale. C’est ainsi qu’ils en déduisent que « l’autorité c’est tout ce qui fait obéir les gens ». En suivant cette logique l’autorité peut alors tout à fait devenir de la violence.
En poussant ce raisonnement à son extrémité dans le domaine politique, les frontières entre le totalitarisme et les autre formes de gouvernement deviennent très minces et de là peut naître un danger.

Hannah Arendt établit que le concept et le mot d’autorité sont d’origine romaine et que les grecs n’ont pas connu le type de gouvernement qui en découle. Platon et Aristote on tenté d’introduire dans le monde grec un « parent de l’autorité ». Pour construire leur philosophie les deux hommes se sont inspirés de deux régimes :
-          dans la sphère publique et politique de la tyrannie ( le despote est le tyran)
-          dans la sphère privée de la famille (le despote est le chef de famille)
Mais aucun de ces deux modèles ne permet l’établissement d’un régime autoritaire car celui-ci sous tend la liberté des hommes.
La République de Platon traite de l’autorité dans la politique. Pour lui, se sont les philosophes qui doivent diriger la cité (« les rois-philosophes »). Platon ne voulait ni de la force ni de la persuasion pour établir l’autorité. Selon lui il existe deux classes d’hommes : ceux qui commandent et ceux qui obéissent. Dans ce cas l’autorité découle naturellement de la relation elle-même entre les hommes. De ce fait le roi philosophe joue de sa position mais l’autorité est véritablement effective du fait des idées du philosophe transformées en mesures et en normes pour le bien de la polis. Les idées deviennent, dans cette configuration, l’instrument de la domination.
Pour Aristote, influencé par Platon, la loi la plus juste est celle qui se rapproche au plus près de l’idée.
Cette conception a influencé la tradition occidentale. Mais, en plus de cela il faut introduire le concept de spécialiste qui donne au chef d’état la capacité de s’occuper des affaires humaines.
Aristote a rejeté une partie de la théorie platonicienne des idées : pour lui il n’y a pas de roi philosophe qui règle définitivement toutes les affaires humaines. Pour Aristote la domination des les affaires humaines vient de la « nature », c’est elle qui fonde la distinction entre dominants et dominés.
Pour le philosophe la polis est « composée de nombreux dirigeants ». Ces hommes sont en réalité des chefs de familles assemblés pour établir une domination dans la polis. Ces hommes qui sont devenus des dirigeants doivent « éduquer » les autres hommes de la cité à la politique.(sous couvert de ce principe beaucoup ont en réalité voulu dominer).
En somme, la philosophie grecque n’a pas réussi à trouver de concept d’autorité qui empêcherait la détérioration de la polis.
Après avoir abordé la pensée grecque l’auteur s ‘est penchée sur la pensée romaine.

Au sein de la pensée romaine on trouve la conviction que quand quelque chose a été fondé cela demeure une obligation pour les générations futures. Chez les romains l’activité politique et l’activité religieuse étaient quasiment identiques. C’est dans ce monde qu’est né le concept d’autorité. Les hommes qui ont l’autorité sont ici les anciens (les sénateurs) ils l’a tiennent de ceux qui ont posé les fondations (les ancêtres). L’autorité a ses racines dans le passé c’est une notion différente de celle de pouvoir : le Sénat détient l’autorité mais c’est le peuple qui détient le pouvoir. L’autorité, dans cette situation, est un avis qui n’a pas besoin d’être un ordre ou de recourir à la force pour ce faire entendre ; elle a une force liante.
Dans le monde romain la tradition préservait le passé et permettait la transmission des témoignages des anciens aux nouvelles générations. Tant que cette tradition se perpétuait de manière intergénérationnelle l’autorité était assurée de persister car personne n’osait agir sans être en adéquation avec la volonté des  « fondateurs ».
La création d’un corps politique découle de ce principe de la fondation. L’application de ces idées à la politique ainsi que le rôle prédominant de la tradition dans le principe d’autorité sont devenues les caractéristiques dominantes de la pensée philosophique et politique occidentale.

C’est l’Eglise chrétienne qui a récupéré l’héritage de la pensée politique romaine, les apôtres sont devenus les « pères fondateurs ». Cette application dans la tradition a permit à l’Eglise de conserver son autorité des siècles et des siècles durant. L’originalité de l’Eglise a été d’amalgamer les philosophies romaine et grecque : elle a fusionné le principe grec de « mesure et de transcendance » avec le concept romain d’acte fondateur. Cela  a permit la perpétuation de la trinité romaine (religion + autorité +  tradition) dans l’ère chrétienne et de doter d’une certaine continuité et stabilité les structures politiques. Il s’est révélé que le retrait d’une de ces composantes de la trinité brisait l’harmonie existante et affaiblissait fortement les deux autres cela aboutissant à la naissance d’une instabilité dangereuse pour les structures préexistantes.
L’Eglise adjoignit aux concepts grecs et romains un système de récompenses et de châtiments pour récompenser ou punir les croyants. C’est ainsi que fut introduite la notion d’enfer (en vérité elle nous vient de Platon), ceci renforça l’autorité religieuse de l’Eglise par rapport au pouvoir séculier mais, ce fut au prix de l’atténuation du concept romain d’autorité  et de l’adjonction  de la violence (= pouvoir de contraindre par la peur) au sein de l’Eglise. Ce dernier point a perdu en intensité dans le monde moderne mais la peur fut à son tour utilisée dans les systèmes politiques (ceci n’empêcha jamais les révolutions).

Machiavel a une position unique dans l’histoire de la pensée politique, il est indifférent à l’égard des jugements moraux et affirme que les hommes devraient apprendre à « pouvoir n’être pas bon ».il s’oppose donc au concept du « bien » chrétien. Il pense que ce concept n’a sa place que dans la sphère privée. Machiavel méprise les interprétations de l’Eglise des traditions chrétiennes et grecques, pour lui, tout contact entre religion et politique corromps les deux.
Son rêve était de fonder une Italie unifiée, il a alors fait des recherches sur les expériences politiques romaines originelles et a découvert qu’elles étaient basées sur l’expérience de la « fondation » qui pour lui est devenue l’action politique centrale. A partir de cette conclusion il a crût possible la fondation d’une Italie unifiée qui serait la base d’un « corps politique éternel ».
Machiavel avait pressentit la naissance des Etats-nation et le besoin d’un nouveau corps politique. Cette constatation l’a fait apparaître comme le « père de l’Etat-nation moderne et de la raison d’Etat ».


On fait aussi très souvent  référence à Machiavel lorsqu’il est question de révolution  à cause de ses thèses sur la nécessaire utilisation de la violence pour fonder de nouveaux corps politiques ou réformer ceux qui sont corrompus. A partir de là on peut opérer un rapprochement entre les thèses de Machiavel et les actes de Robespierre. En effet, pour ces deux personnages , l’utilisation de tous les moyens ( donc également de la violence) est justifiée si elle sert la fondation c’est à dire si elle rend la politique possible ( Pour l’un se serait la création d’une Italie unifiée, pour l’autre la République française). A ce titre, Machiavel peut être considéré comme le penseur des révolutions modernes. L’auteur, Hannah Arendt, considère sur ce point que la seule révolution moderne qui est réussi est la révolution américaine car elle s’est faite en douceur, sans violence grâce à la rédaction par les Pères Fondateurs d’une constitution ce qui a permit d’établir un nouveau corps politique. Hannah Arendt. souligne à la suite d’un développement sur les révolutions leur paradoxe à toutes : les révolutions apparaissent toujours comme des ruptures radicales avec le passé mais elles sont pourtant largement inscrites dans la tradition.