05/01/2106 : Tout peut-il s'acheter ?

Tout bien ne peut s’acheter qu’autant qu’il a une valeur marchande. Sa valeur marchande est la valeur prise en considération pour son échange ; elle est exprimée par son prix.

Nous vivons dans une période historique où la valeur d’échange est devenue la principale valeur mise en avant dans la société mondialisée. À tel point que tout bien, pour être reconnu socialement, semble devoir être mis sur le marché et se voir attribuer un prix.

Ainsi, l’idéologie qui aujourd’hui domine le monde pousse à l’extension sans fin du domaine de la marchandise. Déjà nos capacités physiques et intellectuelles, nos compétences, ont un prix sur le marché de l’emploi. Mais le marché s’étend à des biens liés encore plus essentiellement à notre nature : organes, bébés, ventres maternels, séquences du génome humain, ne sont-ils pas l’objet d’échanges marchands ? Et l’on explore d’ores et déjà la possibilité de nous vendre une apparence sélectionnée, un cerveau augmenté, une jeunesse prolongée, etc.

Jusqu’où peut aller cette marchandisation des biens ?

Cette question ne pourra être éclairée que si nous discriminons les différentes notions en jeu. Qu’est-ce qu’un bien échangeable ? En quoi un échange de bien est-il économique ? Par quels caractères devient-il marchand ?

L’enjeu de cette analyse sera de faire apparaître d’autres valeurs d’attachement au bien que sa valeur marchande.

Il se pourrait alors que ce soit dans un choix de valeurs – qui impliquerait un certain type de rapport au monde – que résiderait notre capacité, ou non, de mettre fin à l’extension du domaine de la marchandise.

Pierre Jean DESSERTINE

08/12/2015 : POURQUOI RÊVER D’IMMORTALITE ?


Cette question nous met d’emblée face à un paradoxe considérable :

- D’une part, il est indéniable que le rêve (au sens de désir d’immortalité) traverse l’histoire des civilisations, et semble étonnamment présent dans l’histoire de l’humanité : ce n’est peut-être pas un hasard si le premier texte connu, l’épopée de Gilgamesh, nous décrit la peine de ce héros devant la perte de son ami Enkidu, pour lequel il va essayer de vaincre la mort, et cette quête se poursuivra à travers la plupart des religions et des philosophies, jusqu’aux rêves actuels d’immortalité, chez Ray Kurzweil et les transhumanistes.

- D’autre part, comme le dit Jankélévitch, « la mort est un scandale, et elle est pourtant un phénomène normal », il n’y a en un sens rien de plus certain, sur le plan de notre vie quotidienne, que le fait que nous devions mourir, il nous faut l’admettre (même si nous pouvons imaginer ou croire en - une vie après la mort, la fin de notre vie d’homme n’en demeure pas moins une donnée inéluctable.

C’est ce paradoxe auquel je vous propose de réfléchir ensemble : pourquoi ce rêve d’immortalité est-il si tenace alors qu’il risque fort de n’être qu’une illusion ? Pouvons-nous nous débarrasser de ce « rêve » d’une pichenette de la raison ? Pourquoi résiste-t-il à tous les efforts de résignation prêchés par Bossuet à M. Du Périer? Que se cache-t-il derrière ce désir d’immortalité : un simple instinct de survie que je ne peux contrôler, une compassion pour le proche qui meurt, ou, d’une autre manière, un besoin intimement lié à ma raison humaine, laquelle est exigence d’ordre, mais aussi de sens ?  Qu’en disent les philosophes pour nous aider à percer ce mystère ?

Il est à parier qu’en méditant sur l’immortalité et la mort, nous en apprendrons moins sur cette dernière,  qui est inconnaissable en tant que telle, comme le pensait Epicure (parce qu’au sens strict, elle n’est pas), que sur nous, en tant qu’humanité, mais aussi en temps qu’ipséités[1], êtres uniques, irremplaçables, que chacun nous sommes à notre « place », que personne ne peut nous prendre.

La formule de Montaigne : « philosopher c’est apprendre à mourir », n’a rien de sinistre ni de morbide, parce que c’est apprendre à faire face à l’échéance que nous aimerions ajourner aux calendes, autrement dit penser l’oxymore d’une vie mortelle, et donc apprendre à vivre.

Pierre Kœst


[1] Du latin « ipse » soi-même. L’ « ipséité » signifie le fait que chacun de nous est lui-même, d’une manière absolument unique, quand bien même il ressemblerait à autrui comme un frère jumeau.

17/11/2015 : Comment penser la diversité inter-culturelle ?



Selon le titre d’un article de la revue Sciences Humaines «Vers un nouvel âge de la globalisation ? »  de février 2015, la globalisation n’unifie pas le monde, elle le fragmente. En mettant les territoires, les droits et les salaires en concurrence, les firmes globales créent de nouvelles inégalités. Sur un autre plan, le Proche-Orient et une partie de l’Afrique explose, la Russie s’arme, la Chine menace ses voisins ; et à l’intérieur de chaque pays, on croit pouvoir lire du « conflit de civilisation » entre les communautés.

- Comment penser la diversité des cultures, des civilisations ?
- Cette diversité est-elle cause de séparation, voire d'incompatibilité à vivre ensemble, à s'entendre, à négocier ?
- Le racisme a-t-il pour cause une diversité mal pensée (outre les politiciens qui en attisent le feu) ?
- Quelle idée de l'être humain ces méthodes révèlent-elles ?

Nous tenterons d’éclairer ces question à partir d’une relecture critique du livre de Samuel Huntington «  Le choc des civilisations » qui date de 1996.

Selon Huntington,

- les peuples se regroupent désormais en fonction de leurs affinités culturelles ; le monde est divisé en 8 civilisations, les civilisations occidentale, islamique, orthodoxe, chinoise, japonaise, hindou et latino-américaine, l’Afrique apparaissant seulement comme une civilisation en formation

- suite à la fin de la guerre froide, un équilibre instable s’établit entre ces civilisations

- un nouvel ordre mondial tente à se construire regroupanr des états au sein d’une même civilisation

- Alors que Huntington voit les conflits de l’Occident avec l’Inde, l’Afrique et la Russie s’amenuiser, il craint que l’Occident ne s’oppose davantage à la Chine et à l’Islam.

Les conclusions de Huntington :
Pour enrayer le déclin de l’Occident, l’Europe et l’Amérique du Nord devraient envisager une intégration politique et économique, de même qu’aligner les pays d’Amérique latine sur l’Occident, empêcher le Japon de s’écarter de l’Ouest, freiner la puissance militaire de l’Islam et de la Chine en maintenant la supériorité technologique et militaire de l’Occident sur les autres civilisations.

Dans un monde multi-civilisationnel, la prévention de la guerre repose sur deux principes :
*L’abstention : les États phares devront s’abstenir « d’intervenir dans les conflits survenant dans des civilisations autres que la leur »;
* La médiation : les États phares devront s’entendre pour « contenir ou stopper des conflits frontaliers entre des États ou des groupes, relevant de leur propre sphère de civilisation ». L’Occident devra également renoncer à l’universalité de sa culture, croyance par ailleurs fausse, immorale et dangereuse, accepter la diversité et rechercher les points communs avec les autres civilisations.

Suite de "Demain, l'Homme augmenté"


Raison et déraison du transhumanisme


Par Pierre Jean DESSERTINE

Qui est l’homme augmenté ?


C’est l’homme de l’avenir, celui qui est annoncé par la science.

Ce qui semble banal : l’homme n’a-t-il pas toujours été augmenté par les progrès de la science ? Nous parlons ici de la science au sens le plus large, celui initialement donné par les Grecs : la maîtrise des processus naturels par la raison. Ainsi on peut penser que l’accès à la maîtrise du feu a augmenté l’homme, tout comme la vaccination, l’automobile, ou le réseau Internet.

Mais ce n’est pas ce très général problème du progrès par la science qui nous réunit ce soir. C’est un problème précis. Il est apparu dans les années 80, en Californie, parmi les chercheurs qui se sont aperçus que la conjonction de nouveaux domaines scientifiques ouvrait la voie à des changements radicaux chez l’homme.

Ces nouveaux domaines de la connaissance scientifiques sont les nanoscience, les biosciences, l’informatique et les sciences cognitives (ce qu'on appelle les NBIC).

Mais que signifie ici changements « radicaux » ? Ne sont-ce pas des changements qui affecteraient la nature humaine ?

Mais la nature de l’homme ne s’atteint qu’à travers le prisme de sa culture, c’est-à-dire cette manière qu’a l’homme d’interposer sa liberté pour prendre en compte les nécessités naturelles en fonction de ses propres buts. Si l’homme a un besoin naturel de manger, il mange ce qu’il choisit, d’une certaine manière réglée, en plus ou moins grande quantité, et il peut choisir de jeûner, voire même de faire la grève de la faim.

La culture, parce qu’elle exprime la liberté humaine, est constamment variable alors que les nécessités naturelles en fonction desquelles elle se détermine sont les mêmes pour tous les hommes.

Autrement dit, ce qui fait la base commune de ce qu’on appelle l’humanité, ce sont un ensemble de nécessités naturelles qui sont à la fois le point d’appui et la limite à sa liberté. C’est ce qu’on appelle, non pas la nature, mais la condition humaine.

Ainsi, parler de changements radicaux en l’homme, c’est penser la possibilité de modifications de la condition humaine.

On peut considérer qu’il y a trois grands ordres de nécessités naturelles qui constituent la condition humaine :

1.       Sa corporalité. L’homme est incarné dans un corps vertical, bipède, qui le situe constamment dans un point de vue déterminé, etc.
Les nouvelles sciences envisagent en effet de numériser toute la pensée humaine et de la télécharger sur des supports artificiels afin de la délivrer de cette corporalité. Voir à ce propos : L'immortalité est-elle pour demain ?

2.      Sa sensibilité. Elle est à la fois externe et interne. Externe – perception – elle est le référent ultime de la connaissance de l’environnement naturel. Interne – sentiments, dont les désirs – elle est le signal de notre état intérieur.
Les NBIC permettent d’outrepasser la référence perceptive en créant une réalité virtuelle; elles nous annoncent également la capacité à venir de supprimer nos états intérieurs négatifs en nous donnant les moyens de satisfaction de tous nos désirs.

3.      Sa temporalité. L’homme doit nécessairement accomplir le cycle naissance maturation – vieillissement – mort dans l’espace de quelques décennies. Le NBIC prétendent soigner le vieillissement et écarter indéfiniment la mort.

On appelle alors « homme augmenté » l’homme qui aurait fait reculer ces limites qui constituent sa condition. L’homme augmenté serait celui qui s’échapperait, grâce à la technoscience, de la condition humaine.

C’est pourquoi on appelle la doctrine qui veut promouvoir sans retenue les possibilités de transformation de l’homme que recèlent les NBIC, le transhumanisme.



Qu’est-ce que le transhumanisme ?


Le transhumanisme est un système d’idées, une doctrine, qui vaut comme vision du futur de l’humanité comme perfection. C’est donc une utopie qui prétend donner le sens de l’activité humaine présente. C’est pourquoi elle vise à s’imposer dans la société et à prendre le pouvoir de manière à en orienter l’évolution : du point de vue de son rôle social, elle est une idéologie.

Notre époque est très particulière en ce sens que l’avenir y a très peu de visibilité.  A-t-il jamais été aussi difficile qu’aujourd’hui de parler de l’avenir à nos enfants ? Un des symptômes de cette perte de visibilité est la disparition de grandes utopies comme le socialisme, le communisme, ou l’anarchie. Le transhumanisme est la grande utopie qui émerge pour remplir cet espace vide.

En ce sens le transhumanisme peut être bien venu. Mais pas nécessairement : cela dépend des raisons qui le justifient (par exemple l’utopie nazie fut désastreuse).



Que vaut le transhumanisme ?


Le transhumanisme peut être justifié par deux types de raisons :

1.       Celles de l’ordre de la science.

2.      Celles tirées de l’interprétation de l’histoire.

Pour les premières – les possibilités techniques qu’ouvrent les NBIC – elles sont exposées, généralement de manière mirifique par les tenants du transhumanisme. Mais, tout scientifiques qu’ils soient, leurs arguments laissent apparaître à l’examen beaucoup de parti pris et d’irrationnel. Ils peuvent être très discutables.

Plus intéressant est l’argument tiré de l’histoire. C’est essentiellement la théorie de l’évolution. Comme toute espèce qui apparaît au long des âges, puis disparaît, l’espèce humaine est appelée à disparaître. Ceux qui voudraient que l’espèce humaine soit maintenue immuablement dans sa finitude se mettent en contradiction avec cette loi de l’évolution des espèces qui règne sur la biosphère.

L’histoire de l’espèce humaine est marquée par une succession de profonds bouleversements qui ont amélioré sa situation dans la biosphère (feu, roue, écriture, agriculture, métallurgie, etc.). Il faut les considérer comme autant de jalons d’une évolution ouverte de l’espèce humaine.

Avec l’avènement des NBIC cette évolution atteindrait un seuil critique annonçant un saut qualitatif duquel émergerait une nouvelle espèce que les transhumanistes appellent volontiers le posthumain et dont l’homme augmenté serait la préfiguration.

L’objection à cette argumentation est l’idée que les grandes inventions évoquées plus haut n’ont pas été forcément un progrès pour l’humanité, au point que certaines ont été délibérément écartées par certaines populations. Voir à ce sujet la critique de l’écriture par Claude Lévi-Strauss.

À cela le transhumaniste répondra que justement, conformément à la théorie de l’évolution, toutes ces cultures dissidentes qui ne sont pas entrées dans ces étapes du progrès humain ont été éliminées par sélection naturelle.

Mais cela ne saurait suffire à convaincre l’homme contemporain qui constate que cette culture qui s’est engagée sans retenue sur la voie du progrès technoscientifique étouffe aujourd’hui sous ses propres déchets, provoque un extinction catastrophique de la faune de la biosphère, risque d’être gravement déstabilisée par les changements climatiques qu’elle a induit, etc. Le verdict de la sélection naturelle pourrait être impitoyable également pour elle.

Finalement, il faut bien se demander si la théorie de l’évolution est bien applicable à l’espèce humaine. Car les comportements humains ne sont pas pris dans les instincts naturels comme ceux des autres espèces. L’homme n’est-il pas capable de prendre des risques par esprit d’aventure ? N’est-il pas capable de renoncer à procréer par conviction religieuse ? N’est-il pas capable de sacrifier sa vie pour une valeur qu’il juge supérieure (comme le résistant qui ne dénonce pas son réseau sous la torture) ? On voir bien qu’en ces occurrences « la lutte pour la vie et pour imposer sa descendance » ne fonctionne pas.

En vérité l’espèce humaine est une espèce bien particulière dans la biosphère en ce qu’elle est la seule à se donner ses propres valeurs finales au-delà de celles assignées par la biosphère sous forme instinctive : telle est la liberté fondamentale qui fait de l’homme un être de culture.

En fonction de quelles valeurs finales les transhumanistes préconisent-ils la transformation de l’homme par la science ? En fonction d’un hédonisme sans nuance : le transhumanisme « prône le bien-être de tout ce qui éprouve des sentiments qu’ils proviennent d’un cerveau humain, artificiel, post-humain ou animal. » lit-on dans le manifeste de l'Association transhumaniste mondiale. Ce qui est cohérent avec le fait que les nécessités liées à la condition humaine soient vécues comme une limitation à la satisfaction des désirs et donc un défaut de bien-être. D’ailleurs l’essentiel de l’entreprise technique et scientifique de l’homme a pour vocation de se libérer de l’asservissement aux nécessités naturelles pour « jouir sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, et principalement la conservation de la santé » comme écrivait Descartes (Discours de la méthode) : la vaccination libère de l’épidémie, l’automobile libère de la distance inaccessible, etc. Les transhumanistes ne font que pousser vers sa plus grande efficacité cette visée hédoniste en s’appuyant sur les possibilités des derniers développements de la science.

Peut-on le leur reprocher ? Non ! À condition d’accepter cette idée du Bien qui la motive : une vie de bien-être, c’est-à-dire une vie maximisant les sensations positives. Or cette idée du bien n’est pas acceptable car elle est beaucoup trop réductrice. L’être humain est capable de viser d’autres types de satisfactions que celles qui passent par le plaisir et le bien-être. On peut penser, entre autres, au sportif qui s’impose de grandes souffrances pour être le meilleur, ou bien à l’individu qui sacrifie son bien-être pour une cause qu’il juge plus importante (par exemple celui qui aide les sans-abri).

On constate que les satisfactions qui ne passent pas par la sensation, mais qui sont d’ordre spirituel, sont largement occultées dans le monde contemporain. Et l’on peut rapporter ce phénomène à la prégnance de l’idéologie marchande, diffusée à travers une surabondance de messages publicitaires, qui veut faire croire que la vie bonne ne passerait que l’obtention de sensations positives à travers la consommation de marchandises.

Après tout, cette convergence entre l’utopie transhumaniste et les intérêts particuliers des marchands n’est pas suffisante pour invalider la première. On pourrait être là face à une manifestation de cette « ruse de la raison » par laquelle l’Histoire selon Hegel – c’est-à-dire le développement de l’Esprit dans le monde – se fait au moyen de l’énergie venant de la poursuite des intérêts particuliers.

Mais il convient de remarquer également que si le transhumanisme vaut aujourd’hui comme idéologie d’importance mondiale, c’est que parce qu’il a été massivement investi, au sens financier, par les grandes entreprises, telles Google et Microsoft. Non seulement les transhumanistes disposent aisément des capitaux pour entreprendre leurs projets de recherche, mais la culture de masse dispose de la manne financière permettant de produire des œuvres qui popularisent la figure de l’homme augmenté. Pensons à l’importance qu’a prise, ces dernières années cette figure dans les jeux vidéos et dans le cinéma (par exemple, en 2014, Lucy et Transcendance).

Au fond, il faut avoir conscience que le transhumanisme est une doctrine très extravagante – que peut être une « pensée » séparée du corps et téléchargée sur divers supports artificiels ? – et qui serait restée comme une bizarrerie scientiste de la mouvance New Age de l’ouest des États-Unis, s’il elle n’avait bénéficié de financements massifs de la part du pouvoir marchand mondialisé.

L’émergence du transhumanisme comme idéologie mondiale est à la confluence :

·         D’un besoin généralisé d’une utopie qui permette de réinvestir l’avenir malgré l’impasse dans laquelle deux siècles d’activisme marchand ont mis l’humanité. Le transhumanisme est, à cet égard, d’autant plus bienvenu qu’il est congruent avec les valeurs dominantes de bonheur hédoniste qui ont cours dans l’opinion commune.

·         De la difficulté en laquelle se trouve aujourd’hui le pouvoir marchand mondialisé. D’une part, il se trouve en procès de disqualification du fait des excès qu’il provoque : excès d’injustices sociales et excès de dommages écologiques  D’autre part, il se trouve en crise structurelle (la crise de 2008) parce que la concentration des richesses qu’il a engendrées a pour conséquence que ceux qui pourrait le faire prospérer ne sont plus en état de le faire, soit parce qu’ils n’ont plus assez de moyens financiers (les classes moyennes paupérisées), soit parce qu’ils ont tout ce qu’ils pouvaient espérer de biens traditionnellement humains (les inconsidérément enrichis de ces dernières décennies). L’utopie transhumaniste apparaît alors au monde marchand comme la possibilité de la relance des affaires par les immenses nouveaux marchés qu’elle annonce.



De ce point de vue on peut considérer le transhumanisme comme une réclame (au sens de publicité) pour la pérennité de la société marchande, c’est-à-dire de la société gouvernée pour être conforme aux intérêts marchands en favorisant prioritairement la circulation des marchandises. Et comme toutes les bonnes réclames, elle ne s’appuie pas sur des arguments raisonnables mais sur les passions humaines, trop humaines. Et l’on peut déceler dans les exaltations transhumanistes, comme moteur central d’adhésion, l’activation d’une passion profondément infantile de toute-puissance. Voir, à propos de cette passion : L’homme sans animaux.

Par contre, dès que l’on réfléchit un peu sérieusement sur ce que peut être cet homme augmenté, sur la manière dont il pourrait exister, on se trouve pris dans d’inextricables contradictions dont la racine est dans le paradoxe d’un sujet humain faisant le projet de ne plus être ce qu’il est. Voir à ce propos L’avenir peut-il être transhumaniste ?