08/12/2015 : POURQUOI RÊVER D’IMMORTALITE ?


Cette question nous met d’emblée face à un paradoxe considérable :

- D’une part, il est indéniable que le rêve (au sens de désir d’immortalité) traverse l’histoire des civilisations, et semble étonnamment présent dans l’histoire de l’humanité : ce n’est peut-être pas un hasard si le premier texte connu, l’épopée de Gilgamesh, nous décrit la peine de ce héros devant la perte de son ami Enkidu, pour lequel il va essayer de vaincre la mort, et cette quête se poursuivra à travers la plupart des religions et des philosophies, jusqu’aux rêves actuels d’immortalité, chez Ray Kurzweil et les transhumanistes.

- D’autre part, comme le dit Jankélévitch, « la mort est un scandale, et elle est pourtant un phénomène normal », il n’y a en un sens rien de plus certain, sur le plan de notre vie quotidienne, que le fait que nous devions mourir, il nous faut l’admettre (même si nous pouvons imaginer ou croire en - une vie après la mort, la fin de notre vie d’homme n’en demeure pas moins une donnée inéluctable.

C’est ce paradoxe auquel je vous propose de réfléchir ensemble : pourquoi ce rêve d’immortalité est-il si tenace alors qu’il risque fort de n’être qu’une illusion ? Pouvons-nous nous débarrasser de ce « rêve » d’une pichenette de la raison ? Pourquoi résiste-t-il à tous les efforts de résignation prêchés par Bossuet à M. Du Périer? Que se cache-t-il derrière ce désir d’immortalité : un simple instinct de survie que je ne peux contrôler, une compassion pour le proche qui meurt, ou, d’une autre manière, un besoin intimement lié à ma raison humaine, laquelle est exigence d’ordre, mais aussi de sens ?  Qu’en disent les philosophes pour nous aider à percer ce mystère ?

Il est à parier qu’en méditant sur l’immortalité et la mort, nous en apprendrons moins sur cette dernière,  qui est inconnaissable en tant que telle, comme le pensait Epicure (parce qu’au sens strict, elle n’est pas), que sur nous, en tant qu’humanité, mais aussi en temps qu’ipséités[1], êtres uniques, irremplaçables, que chacun nous sommes à notre « place », que personne ne peut nous prendre.

La formule de Montaigne : « philosopher c’est apprendre à mourir », n’a rien de sinistre ni de morbide, parce que c’est apprendre à faire face à l’échéance que nous aimerions ajourner aux calendes, autrement dit penser l’oxymore d’une vie mortelle, et donc apprendre à vivre.

Pierre Kœst


[1] Du latin « ipse » soi-même. L’ « ipséité » signifie le fait que chacun de nous est lui-même, d’une manière absolument unique, quand bien même il ressemblerait à autrui comme un frère jumeau.

17/11/2015 : Comment penser la diversité inter-culturelle ?



Selon le titre d’un article de la revue Sciences Humaines «Vers un nouvel âge de la globalisation ? »  de février 2015, la globalisation n’unifie pas le monde, elle le fragmente. En mettant les territoires, les droits et les salaires en concurrence, les firmes globales créent de nouvelles inégalités. Sur un autre plan, le Proche-Orient et une partie de l’Afrique explose, la Russie s’arme, la Chine menace ses voisins ; et à l’intérieur de chaque pays, on croit pouvoir lire du « conflit de civilisation » entre les communautés.

- Comment penser la diversité des cultures, des civilisations ?
- Cette diversité est-elle cause de séparation, voire d'incompatibilité à vivre ensemble, à s'entendre, à négocier ?
- Le racisme a-t-il pour cause une diversité mal pensée (outre les politiciens qui en attisent le feu) ?
- Quelle idée de l'être humain ces méthodes révèlent-elles ?

Nous tenterons d’éclairer ces question à partir d’une relecture critique du livre de Samuel Huntington «  Le choc des civilisations » qui date de 1996.

Selon Huntington,

- les peuples se regroupent désormais en fonction de leurs affinités culturelles ; le monde est divisé en 8 civilisations, les civilisations occidentale, islamique, orthodoxe, chinoise, japonaise, hindou et latino-américaine, l’Afrique apparaissant seulement comme une civilisation en formation

- suite à la fin de la guerre froide, un équilibre instable s’établit entre ces civilisations

- un nouvel ordre mondial tente à se construire regroupanr des états au sein d’une même civilisation

- Alors que Huntington voit les conflits de l’Occident avec l’Inde, l’Afrique et la Russie s’amenuiser, il craint que l’Occident ne s’oppose davantage à la Chine et à l’Islam.

Les conclusions de Huntington :
Pour enrayer le déclin de l’Occident, l’Europe et l’Amérique du Nord devraient envisager une intégration politique et économique, de même qu’aligner les pays d’Amérique latine sur l’Occident, empêcher le Japon de s’écarter de l’Ouest, freiner la puissance militaire de l’Islam et de la Chine en maintenant la supériorité technologique et militaire de l’Occident sur les autres civilisations.

Dans un monde multi-civilisationnel, la prévention de la guerre repose sur deux principes :
*L’abstention : les États phares devront s’abstenir « d’intervenir dans les conflits survenant dans des civilisations autres que la leur »;
* La médiation : les États phares devront s’entendre pour « contenir ou stopper des conflits frontaliers entre des États ou des groupes, relevant de leur propre sphère de civilisation ». L’Occident devra également renoncer à l’universalité de sa culture, croyance par ailleurs fausse, immorale et dangereuse, accepter la diversité et rechercher les points communs avec les autres civilisations.