27/09/2016 - Qu'est-ce qu'un philosophe ? Qu'est-ce que la pratique philosophique ?

Le philosophe serait-il un spécialiste de philosophie, au même titre qu’un menuisier s’y connaîtrait en bois, ou qu’un plombier maîtriserait l’art de réparer des tuyauteries ? Philosopher, est-ce « pratiquer » un art (au sens grec de technê, savoir- faire), et cette « pratique » (qui était d’ailleurs plutôt au départ une « théorie ») doit-elle impliquer un changement visible, voire radical, dans la manière dont le philosophe vit sa vie ?  Autrement dit, est-il absolument impératif que le philosophe se conforme à ses paroles (et, sous-entendu, aux leçons qu’il est censé donner aux autres ?)

Mais surtout : qui pose la question « qu’est-ce qu’un philosophe ? », avec quelles arrière-pensées ? 

Le scientifique, intrigué par celui qui a longtemps prétendu  exercer  une suprématie sur lui (du temps où la philosophie s’était octroyée le nom de « reine des sciences »),  mais qui,  même détrôné de ce piédestal,  continue à exercer une singulière fascination,  la fascination d’un rival qui comme lui prétend courtiser la « vérité » ?

Le philosophe lui-même,  qui après une histoire de plus de deux millénaires,  se demande parfois si la « pratique » qui est la sienne n’est pas arrivée à son terme, ou en tout cas s’il est encore possible de nommer du même nom ce qui est né en Grèce à l’aurore du cinquième siècle avant J.-C. avec Anaximandre,  Parménide ou Héraclite, et ce qui advient au crépuscule sous les noms de Nietzsche, Derrida ou Michel Foucault ?

L’ « honnête homme » d’aujourd’hui,  qui n’a pas encore renoncé à  lire et  penser,  et qui soupçonne parfois que les philosophes de notre temps ont peut-être encore quelques cartes à jouer dans un monde où tout se réduit à de l’information et de la communication,  et où la philosophie est ravalée bien hâtivement au rang de « science humaine ».  Le vide créé par la désaffection relative des églises ne crée-t-il pas un besoin de catéchisme ou de vademecum,  un désir d’être guidé par des mentors qui penseraient pour nous, mieux que nous,  ce qu’il nous incombe de vivre ?

 D’où notre interrogation : Les philosophes sont-ils bien ceux que l’on nomme ainsi ? Ceux dont le grand public entend parler sont devenus des marchands, des producteurs de « biens culturels », ou de divertissements télévisuels, et l’on peut se demander si en devenant polémistes, chroniqueurs, journalistes, ou personnalités « people »,  ils ont encore quelque chose à voir avec les penseurs dont ils font étalage, en les réduisant à du prêt à porter idéologique, apte à satisfaire à la sauvette, et le temps d’un zapping , l’indéniable besoin de sens des foules.

Il serait prétentieux de vouloir faire le tour de cette question dans le cadre d’un café philo, mais par quelques petites incursions dans notre histoire (et celle de la philosophie), nous suggèrerons qu’un philosophe qui se respecte se renierait s’il cédait à la tentation de devenir un « coach » auquel nous déléguerions la « gestion » de nos vies.


Pierre Kœst,  sept 2016